
Suite à notre numéro spécial du Fil rouge sur les 70 ans des CE en Seine-Maritime (*), nous avons reçu ce courrier de Michel Pierre, ancien trésorier de notre IHS Cgt 76. C’est avec beaucoup de plaisir que nous le reproduisons. De larges extraits seront publier dans le prochain « Fil rouge » n° 57 du dernier trimestre 2015.
Une réalisation exceptionnelle du Comité d’Établissement de la CFR et résultant du travail incessant des treize camarades administrateurs de la société civile coopérative d’habitation « Bois Châtaigniers ».
Je vous invite à faire un saut en arrière de 42 ans !
Point de départ : Octobre 1971
Infirmier au service médical, je soigne pendant quelques jours la blessure de Marcel Saunier, à l’époque secrétaire du CE. Les discussions se polarisent sur la construction pavillonnaire. Devant le besoin grandissant des travailleurs de la CFR, pour devenir propriétaire d’une maison individuelle, une idée germe dans la tête de Marcel et la mienne : proposer au personnel de la raffinerie l’acquisition d’un pavillon dans un lotissement sis à la campagne.
Une première lettre d’information est adressée le 17 novembre 1971 à l’ensemble des salariés : 176 réponses intéressées.
Le feu de l’action
Devenu responsable de la commission logement du CE, en dehors de mes quarts, j’arpente les principales communes de la région à la recherche d’un terrain constructible. Ce n’est qu’après plusieurs démarches infructueuses, que je suis reçu par le Maire de Saint Laurent de Brévedent. Pour différentes raisons, notre projet l’intéresse.
Après plusieurs visites à l’un des agriculteurs susceptible de vendre un terrain et après discussion, l’affaire est faite. Nous buvons le calvados officialisant l’accord. 340.000 francs pour 7,5 hectares avec possibilité d’édifier 75 pavillons.
Naissance de la société coopérative.
Après moult réunions avec les salariés volontaires pour cette opération de construction, 75 restent d’accord sur nos conditions pour poursuivre l’aventure. Parmi eux, treize camarades majoritairement CGT constituent le conseil d’administration.
Après accord de notre CE, les démarches administratives et légales sont officialisées auprès d’un notaire (buts et statuts). La société civile coopérative d’habitations « Bois Châtaigniers » est créée le 25 septembre 1972 avec son conseil d’administration nominatif de 13 camarades. A partir de cette date, les étapes se sont succédé dans des délais rapprochés, l’option fondamentale étant de se passer d’un promoteur en traitant directement avec l’architecte et l’entreprise de construction.
Marcel Saunier, secrétaire du CE, nous a non seulement aidés, mais a suivi les opérations.
L’architecte et les plans
Le choix de l’architecte, sa conception du plan de masse et les structures des treize types de pavillons ont fait l’objet de nombreuses participations des 75 coo-pérateurs. Chaque disposition intérieure des pavillons a été discutée. Ces améliorations et aménagements ayant reçu le consensus des coopérateurs, les plans définitifs ont été élaborés en vue de la demande du permis de construire. Après bien des difficultés, le dossier complet (plans et cahier des charges) a pu être transmis aux entreprises pour l’appel d’offre. A noter que le plan des réseaux VRD (Voieries, Réseaux Divers) étudiés par la SOGETI de Rouen fait partie du dossier.
La voix administrative est enfin libre !
L’obtention du permis de construire, le 9 juillet 1973 nous permet de passer aux étapes suivantes. Les réponses des entreprises sous plis cachetés sont ouvertes officiellement à la chambre de commerce du Havre en notre présence.
La commune de Saint Laurent n’ayant pas le tout à l’égout, notre lotissement et son réseau VRD sera le départ d’un assainissement communal. Avec le support de la mairie, le département sous l’égide du préfet, donne le feu vert pour l’assainissement public avec raccordement à celui existant de Gournay en Caux.
Dans le même temps, l’UL CGT d’Harfleur met un local à notre disposition dans les combles (aujourd’hui stockage des archives). Notre opération de construction est entièrement primable. Totalité des primes pour les 75 pavillons.
Notre travail d’administrateurs est de remplir chaque demande pour les 75 coopérateurs. Demande de prêt immédiat du Crédit Foncier, prêt départemental de 5000 francs pour tous, prêt spécial CFR et le prêt employeur de 0,9 % qui seront débloqués en fonction de l’avancement des travaux.
Suite à l’appel d’offres, la société nationale de construction a été retenue comme entreprise pilote pour prendre la responsabilité de notre chantier et « driver » toutes les entreprises sous-traitantes des corps d’état. L’entreprise Bourdin et Chaussée, sous-traitante aussi, est chargée de la totalité du VRD.
Le déluge !
Le début des travaux a démarré en novembre 1973, sous une pluie incessante pendant quatre mois, transformant le chantier en immense cloaque pour débuter la voierie.
Non seulement les engins de terrassement s’enlisaient, mais il a fallu beaucoup de courage aux ouvriers, car souvent la boue dépassait la hauteur de leurs bottes. Le chef de chantier n’ayant jamais voulu monter une baraque de chantier, les hommes comme le matériel baignaient dans la boue et la flotte.
Ce ne fut que le début des catastrophes que nous allions connaitre tout au long de la construction, dues à l’incompétence du responsable des travaux ainsi que des mauvais choix des entreprises sous-traitantes.
S’organiser pour mieux se défendre
Pour contrôler la réalisation des travaux et le respect du cahier des charges, chaque administrateur a été chargé d’un corps d’état et de sa réalisation. En plus du trésorier, les camarades ont choisi leur domaine : Le VRD, le gros œuvre, la charpente, la couverture, le chauffage, l’électricité, les fermetures aluminium et bois, les revêtements de sols, etc… Les connaissances ont été vite acquises au fur et à mesure des différents travaux. Leurs remarques et griefs m’ont servi à chaque réunion de chantier hebdomadaire où le chef de chantier n’appréciait guère mes interventions justifiées.
Les travaux de réalisation des réseaux (vannes et pluvial) nous réservèrent des surprises de taille : Mélange des conduites, liaisons des pavillons hors réseau, mauvaises jonctions entre les canalisations, eaux vannes (WC) dans le bassin de retenue des eaux pluviales, etc… Une caméra souterraine avait décelé tous les défauts du réseau. Les réunions de chantier étaient animées et la position du chef pitoyable. Malgré l’inachèvement de la voierie restée en terre battue, les pavillons sortaient de terre avec leur lot de malfaçons, trop importantes pour qu’on laisse faire. Ca chauffait aux réunions de chantier !
Des sous-sols transformés en piscine
En parallèle de notre construction, le CE de Renault Sandouville CGT construisait un complexe sportif ainsi qu’une piscine à Saint Laurent de Brévedent. Avec le feu vert de notre bureau d’étude, nous avions donné notre accord pour que le réseau d’évacuation des eaux de la piscine soit branché sur notre conduite principale. Le premier essai de vidange de la piscine a été plus que concluant ! L’eau fumante empestant le chlore s’est retrouvée dans plusieurs sous-sols de nos maisons sur 80 cm de hauteur. Encore une erreur de branchement qui a entrainé des dégâts matériels.
Dans le même temps, je fus élu au CE avec Marcel Saunier, ce qui m’a permis d’être membre du Comité Central d’Entreprise de la CFR. Ce mandat CGT a facilité beaucoup de problèmes administratifs et fait sauter bien des barrières dites infranchissables.
Du n’importe quoi !
La situation devenait intolérable. Les pavillons étaient montés à la « va comme je te pousse », avec une direction incompétente, des équipes de travail non qualifiées, pas de planning de travail sérieux et un manque de coordination entre les différents corps d’état.
Des malfaçons à la pelle, du jamais vu, comme les murs montés à côté des fondations, en faux équerre, des murs de soutènement qui s’effondraient, des regards de tout à l’égout au milieu des jardins, des vidanges eaux sales ne débouchant nulle part, des toitures fuyardes et souvent en forme de pagode chinoise, etc… l’atmosphère qui régnait sur le chantier était explosive. De plus, l’entreprise sous-traitant le gros œuvre tomba en faillite judiciaire : les travaux ralentissaient.
L’inexistence de baraque pour stocker le matériel (Baignoires, lavabos, carrelages….), les vols fréquents venaient aggraver cette situation ubuesque. Malheureusement, notre architecte était débordé par ces graves évènements.
Devant ces lamentables résultats, je pris contact avec le directeur de la société de construction, visite sur le terrain et preuves des malfaçons, il « vira » le chef de chantier et le remplaça sur le champ par un technicien sérieux. Mes camarades administrateurs chargés de la surveillance et travaillant dans l’ombre avaient accumulé tellement de preuves et de préjudices pour nos coopérateurs, que nous avons arrêté les frais ainsi que les règlements de l’entreprise. C’était le procès !
Pas d’achèvement des travaux, pas de certificat de conformité
La dernière fraction du prêt du Crédit foncier était bloquée et les coopérateurs de ce fait ne pouvaient pas prétendre aux allocations logement. Il fallait trouver d’urgence un organisme qui cautionne le prêt et le montant des travaux afin d’éviter la mort de notre chantier.
Avec le trésorier, nous avons pris contact avec MR Bettencourt, sénateur de la Seine Maritime et conseiller international du gouvernement en matière d’énergie, donc le pétrole. Notre démarche l’intéressa et désirant rencontrer le PDG de la CFR, non seulement pour plaider notre cause, mais aussi pour parler des intérêts pétroliers au Moyen-Orient. Membre du CCE, je rencontrais le PDG, Mr Granier de Lilliac qui recevait notre sénateur, un dimanche dans sa propriété de Versailles.Dès le mardi, la secrétaire du PDG me confirmait que notre problème était résolu. Le crédit chimique banque de la CFR cautionnait notre société générale. Le chèque du crédit foncier nous parvint dans les jours suivants.
Décembre 1975, tous les coopérateurs sont dans leur pavillon.
Décembre 1976 Inauguration du lotissement.
Achèvement des travaux et procès
La liste des malfaçons était impressionnante. Nous bloquâmes les paiements de l’entreprise à moins 150 millions et portions l’affaire devant le tribunal avec l’aide et les conseils d’un expert juridique (Janvier 1975). Le procès durera 10 ans.
Nous avons gagné sur toute la ligne, l’entreprise fut condamnée à reprendre toutes les malfaçons.
Avant la fin de la procédure, je quittais mes fonctions de président pour me consacrer au Comité Central d’Entreprise et au Comité de groupe de Total (1984). Les travaux de reprise des malfaçons ont duré une éternité sous contrôle d’expert. Nous avons réglé définitivement l’entreprise à la fin de ces travaux. Le procès a été clos en 1989 et la dissolution de notre coopérative a été prononcée le 20 décembre 1990.
Le bilan financier final de la SCHH, tous frais payés, a présenté un reliquat d’environ 187.200 qui a été reversé aux 75 coopérateurs.
Conclusion
Une aventure sans précédent, sans promoteur et réalisée par une poignée de salariés formant le conseil d’administration. Une expérience riche, un travail de longue haleine et usant.
Un travail d’équipe, une formation à la vie collective, une prise en charge des responsabilités et de l’engagement. Un apport de sang neuf pour la commune de Saint Laurent de Brévedent de plus de 3000 personnes (enfants compris) qui a permis l’ouverture de classes supplémentaires.
Enfin, vu le prix final des pavillons, tous les coopérateurs ont été conscients d’avoir réalisé une bonne opération.
Je rends hommage à mes camarades administrateurs qui ont travaillé pour la bonne cause et j’ai une pensée pour ceux qui nous ont quittés. Coup de chapeau à Marcel Saunier et au CE CGT de la raffinerie sans lesquels notre lotissement n’aurait pu sortir de terre !
Pierre Michel
Ex président de la SCCH « Bois Châtaigniers »
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