
Les 3 et 4 novembre dernier, plus d’une centaine de retraités de Seine-Maritime étaient réunis pour discuter de leurs revendications spécifiques, et de leur organisation, à Saint Étienne du Rouvray. A cette occasion, notre Institut, qui y était invité est intervenu par la voix de notre Président Jacky Maussion.
A la demande de nombreux participants, vous trouverez ci-dessous l’intégralité de son intervention.
Bonne lecture!
<< Votre congrès est pour nous l’occasion de vous présenter l’Institut CGT d’Histoire Sociale de Seine-Maritime. Créé en 1996, notre association a pour objectif de permettre la transmission d’une mémoire collective. Plusieurs fédérations, des régions, des départements, se sont dotés d’un tel institut. En créant les conditions d’un institut d’histoire sociale de la CGT, il a y près de 30 ans, Georges Séguy a voulu que l’on sorte tout à la fois de l’historiographie officielle, lisse, aseptisée, et d’une forme d’empirisme. Pour répondre à ce souci, nous avons, par exemple, en ce qui nous concerne, au sein de notre institut, un conseil scientifique composé d’universitaires, de chercheurs, qui nous aident dans nos travaux.
Confortés par notre expérience syndicale, notre postulat de départ consiste à mettre en exergue les luttes sociales. Ce sont elles, de notre point de vue, qui font avancer la société. Notre rôle consiste donc à produire des travaux d’histoire qui résonnent dans la vie actuelle de la CGT.
En adhérant à l’IHS, vous recevrez tous les trimestres la publication d’une revue intitulée « Le Fil Rouge » qui donne à voir et à lire nos travaux et nos recherches sur la vie syndicale et les luttes en Seine-Maritime depuis la création, en 1913, au Havre, de l’Union Départementale. Notre dernier numéro est consacré à la mise en place des comités d’entreprise et leur évolution depuis 1945 dans notre département.
Nous avons eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, lors de congrès, que l’histoire, celle du mouvement ouvrier, montre qu’il y a deux conditions indispensables, indissociables, à un processus de conquêtes sociales.
- Une mise en mouvement, c’est-à-dire des luttes particulières ou plus générales
- Une espérance sociale, c’est-à-dire un projet appuyé sur une logique de développement des capacités humaines. On peut s’exprimer autrement et parler de perspective politique ou pourquoi pas de perspective révolutionnaire.
Dans tous les cas, cela suppose de remettre sur le devant de la scène la question de l’égalité, de laisser au placard celle de « l’identité », de la sécurité, de la « communauté ».
Toute l’histoire sociale nous l’enseigne : sans espérance, la colère ne porte pas vers la lutte mais vers le ressentiment.
On ne cherche plus les causes des maux, que l’on ne voit pas (les marchés financiers, la part grandissante qui revient aux actionnaires, au capital, au détriment du travail, la fraude fiscale), mais on rend responsable de tous les problèmes le bouc émissaire le plus proche.
Voilà des années que l’on nous explique que le temps de la lutte des classes est dépassé. L’époque serait aux enjeux « identitaires » et à la « guerre des civilisations ».
Or la lutte des classes pousse au rapprochement entre tous les exploités et les opprimés. La guerre des identités, elle, divise le peuple : les natifs contre les étrangers et les réfugiés, les stables contre les précaires, les salariés contre les chômeurs, les parents d’élèves qui bénéficient d’une réduction à la cantine scolaire contre les autres, les salariés de la fonction publique et territoriale, ceux d’EDF-GDF, ceux de la SNCF, contre ceux du privé.
Le passage de la lutte des classes à la guerre des identités fait éclater tous les repères, produit un vide de sens.
C’est pourquoi, notre souhait, notre ambition, est d’être utile, afin de remettre en perspective des éléments d’histoire qui permettent aux militants de la CGT, aux syndiqués, de mieux appréhender le monde réel dans lequel nous vivons et luttons aujourd’hui.
Dans cet esprit, toutes nos recherches, toutes analyses, s’inscrivent en faux contre l’affirmation que « c’était mieux avant ».
Elles confirment au contraire, que la résistance et la capacité de révolte dans les conditions de notre époque, rendent plus que jamais nécessaire le fait syndical et l’engagement militant.
Nous avons parfois, à notre âge, la tentation de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Ce détour par le passé, même furtif, peut-être libérateur. Il permet d’entrevoir des possibles qui, à un moment donné, ont pu être refoulés. Il permet, dans tous les cas de stimuler notre imaginaire.
Avant chaque mouvement social de grande ampleur et de périodes de grandes conquêtes sociales, en 1936, en 1945, en 1968, le peuple donne l’impression de se « désintéresser » de la chose publique. Quelques mois avant 1968, un célèbre éditorialiste avait écrit que la France s’ennuyait. En 1942, un peuple entier ne parut plus penser qu’au ravitaillement. Et pourtant !!
Nous serions à nouveau actuellement dans le désert. Mais toute l’histoire sociale nous l’enseigne, il n’est pas possible de croire qu’il ne se passera plus rien. Que des citoyens n’exerceront plus leur pouvoir qu’en mettant un bulletin dans l’urne pour désigner un souverain (à leur place), un monsieur ou une dame qui a une bonne tête à la télévision. Que les seuls problèmes sur lesquels le citoyen aura à se prononcer (par référendum) seront l’itinéraire d’une autoroute, la puissance d’une centrale électrique, ou dans son entreprise sur l’opportunité de baisser les salaires en échange d’un plan de licenciement un peu moins douloureux.
Pour paraphraser Beaumarchais, nous n’avons jamais considéré à la CGT, hier comme aujourd’hui, et pour longtemps encore, que les patrons nous font déjà beaucoup de bien lorsqu’ils ne nous font pas trop de mal.
Nous restons d’incorrigibles utopistes. Une bonne, une grande et belle utopie, celle d’hier devenue réalité comme les congés payés, la sécurité sociale, les comités d’entreprise…Celle d’aujourd’hui avec la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine sans perte de salaire, celle de demain que nous semons dans les pas de nos successeurs.
Comme Marx l’a montré, les hommes font leur vie, mais ils ne la font pas comme ils veulent, ils l’a font pas des circonstances qu’ils choisissent mais dans ces circonstances qu’ils rencontrent, données et transmises par le passé. Alors raconter le passé ne vise pas à reproduire mais à produire du nouveau. Cette conception de l’histoire ne doit pas être vécue seulement pour l’interpréter mais pour la faire.
Dans cet esprit, l’IHS c’est une activité permanente qui va de la participation à des colloques, à des journées d’études, à l’organisation de conférences, d’exposés, de débats, sur des thèmes aussi différents que le « Conseil National de la Résistance », « Pour saluer Jaurès », « Le mouvement ouvrier en Seine-Inférieure durant la première guerre mondiale », « Jules Durand », « L’extrême droite, un danger pour le monde travail », « Les soixante-dix ans de la Sécurité sociale », « La fin de la guerre d’Algérie ».
L’activité de notre Institut, c’est aussi un investissement important dans le classement des archives. Nous avons publié, il y a quelques mois, une brochure, sous forme de guide, à l’attention des militants, des syndicats, des Unions locales, afin de les aider à ne pas se priver de repères utiles aux analyses et réflexions nécessaires à leur activité et à leurs actions.
Nous avons également publié plusieurs ouvrages, notamment sur les grands mouvements sociaux de 1936, de 1968, sur les cent ans de l’Union départementale et sur des portraits de militants de la CGT en Haute-Normandie. Notre prochaine publication, en partenariat avec les dockers du Havre, sera consacrée à l’affaire Jules Durand, sous forme de livre illustré.
Nous allons organiser dans plusieurs villes du département, fin février, début mars, en partenariat avec les « Amis de l’Huma », la projection du film de Gilles Perret : « La sociale » consacrée à l’histoire et au devenir de la Sécurité sociale.
D’où vient-elle ? Comment elle a été mise en place ? Qu’est-elle devenue et que pourrait-elle devenir ?
En 1945, les ordonnances promulguant les champs d’application de la Sécurité sociales étaient singées par le gouvernement provisoire de la République. Un vieux rêve séculaire émanant des peuples à vouloir vivre sans l’angoisse du lendemain voyait enfin le jour.
Le principal bâtisseur de cet édifice des plus humanistes qui soit se nommait Ambroise Croizat, un militant de la CGT qui deviendra ministre communiste.
Soixante-dix ans plus tard, il est temps de raconter cette belle histoire de la « Sécu ». D’où elle vient, comment elle a pu devenir possible, quels sont ses principes de base, qui en sont les fondateurs et qu’elle-elle devenue au fil des décennies.
Au début de l’année 2017, nous organiserons « Les journées du Fil Rouge ». Rien n’est encore finalisé, mais l’idée est lancée.
Il est coutume, parfois, de conclure par une citation littéraire.
J’ai choisi un auteur, marxiste, des Etats-Unis, Howard Zinn : « Tant que les lapins n’ont pas d’historiens, l’histoire est racontée par les chasseurs ».