
Jules DURAND, est décédé le 20 février 1926, à l’ hôpital psychiatrique de Quatre Mares, à Sotteville les Rouen, il y a 90 ans, dans le dénuement le plus complet.!
Les lecteurs du Fil rouge, pour la plupart d’entre eux connaissent l’histoire de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Dreyfus du pauvre » . Mais revenons y rapidement:
Devant le refus des patrons havrais de négocier les salaires et les conditions de travail des dockers charbonniers du Havre, les ouvriers dockers se mettent en grève en Aout 1910. C’est une grève très largement majoritaire et qui se renforce de jour en jour.
Mais, une bagarre d’ivrogne va éclaté sur un des quais du port du Havre.
Un homme tombe. Louis Dongé, c’est un chef d’équipe « jaune » , un briseur de grève, « un renard ». Il ne se relèvera pas. Le 9 septembre 1910 à 21 heures s’amorce un des plus terribles scandales judiciaires de la République, l’égal de l’affaire Dreyfus, mais au cœur du monde ouvrier.
Depuis trois semaines, cette grève qui secoue le port, celle des dockers charbonniers est puissante. Ils dorment souvent dans des wagons, s’alimentent pour quelques sous au fourneau économique installé sur un quai, véritable soupe populaire mise en place par les patrons pour les avoir sous la main, et dont le syndicat demande la fermeture. Vivant en parias et buvant sec pour beaucoup puisque payés en jetons par les patrons dans les estaminets.
Dans le climat de guerre de classe de cette période, la Compagnie Générale Transatlantique, a saisit le crime comme une opportunité pour briser la grève. Elle à réunit à la hâte une poignée de « renards », leur fait répéter une histoire édifiée à la hâte et les expédie devant le magistrat chargé de l’enquête. Ce dernier ingurgite les invraisemblables bobards patronaux, boucle ses conclusions et le procès peut se tenir.
Le 25 novembre 1910, la Cour d’Assises de Rouen va condamner Jules Durand à mort. Quelques semaines seulement après les faits.
Trois jours après la fin du procès, le directeur de l’Humanité a dénoncé dans son journal ce verdict scandaleux qui « porte au cœur même du prolétariat la menace et l’épouvante ». Il prend la tête de la campagne pour la révision du procès. Il rédige des dizaines d’éditoriaux qui déconstruisent les « preuves », et mettent en lumière la machination de la Compagnie générale transatlantique. Il préside des meetings en faveur de la libération des condamnés, interpelle le gouvernement sur la lenteur de la procédure de révision.
Une « seconde affaire Dreyfus ». Reprenant les termes de Geeroms, Secrétaire de l’ Union Locale CGT du Havre de l’époque, c’est ainsi que Jaurès traite l’affaire Dongé, qui est devenu « l’affaire Durand ». Il fait appel aux intellectuels qui se sont mobilisés en faveur du capitaine et ainsi l’écrivain Anatole France le rejoint-il lors d’un meeting le 17 décembre devant plus de 6 000 personnes à Paris. Des centaines de milliers de personnes sont réunis dans des centaines de réunions dans les villes de France, des milliers de cartes postales éditées par le comité de soutien, à l’effigie de Durand sont adressées à l’Élysée.
A l’étranger, des grèves de solidarité s’organisent. L’Humanité publie les lettres touchantes de Durand à ses parents… Le président Fallières cède une première fois en commuant la peine en sept ans de réclusion puis devant la protestation qui continue, est obliger le 16 février 1911, de libérer Jules de la Prison Bonne nouvelle à Rouen ou il est enfermé.
C’est parce que nous nous sommes « dressés contre le crime de la raison d’État militariste » dans l’affaire Dreyfus, que nous pouvons exiger que la République rende justice à la victime « de la raison d’État capitaliste », écrit Jaurès (1) . Jules Durand a été broyé par la conspiration de la Compagnie Générale transatlantique orchestré par un dénommé Stanislas Ducros .
Jules a perdu la raison.Interné en hôpital psychiatrique, sujet à un délire de la persécution. On ne sait s’il a pu apprécier sa réhabilitation, actée en 1918 par la Cour de cassation. Il décèdera à 7 h 45 le 20 février 1926. Les syndicats CGT et CGTU appellerons les salariés à participer à son inhumation le 23 février 1926. Ils seront par centaines dans un immense cortège dans lequel on retrouve toutes les corporations.
A l’occasion de cet anniversaire, on pourra relire les textes articles, livres et revues écrits récemment à ce sujet et plus particulièrement » Jules Durand-Un crime social et judiciaire » publié chez L’Harmattan par les amis de Jules Durand sous la direction de John Barzmann et Jean Pierre Castelain qui reprend les travaux du colloque organisé à cet effet en novembre 2013 (24 €); « Jules DURAND Une affaire Dreyfus au Havre (1910- 1918) » de Roger Colombier édité aux éditions Syllepse (15 €). Sans oublier que notre Institut CGT d’Histoire Social , avec le syndicat des dockers du Havre, et les éditions de l’Atelier, va publier un roman graphique, écrit par Roger Martin et dessiné par Mako actuellement en souscription, qui sortira fin octobre 2016. Pour tous renseignements s’adresser à l’IHS cgt 76 courriel : ihs76@cgt76.fr.
(1) on retrouvera avec intérêt l’article de Patrick Apel- Muller paru dans l’ Humanité du 15 juillet 2014