En mai 1968, Jacky Maussion a 21 ans. Après son service militaire, passé, en partie, en Algérie, il travaille depuis quatre mois chez Renault, à Cléon, où il a été embauché comme ouvrier spécialisé (OS). Affecté d’abord à la chaîne, il change de poste pour intégrer l’atelier des vilebrequins. « Les conditions de travail étaient dures à cette époque. On faisait quarante-six heures par semaine pour des salaires relativement bas. On sentait que quelque chose allait arriver, surtout depuis les grèves organisées à Caen. Là-bas des mouvements éclatent chez Saviem, Jaeger… en janvier. Les ouvriers sont jeunes et sont soutenus par des étudiants », raconte Jacky. Pour lui, « mai 68, c’est d’abord une histoire normande ».
Manif à Elbeuf le 13 mai
Le jeune OS vient de se syndiquer à la CGT quand éclatent les émeutes de la nuit du 10 au 11 mai au Quartier latin, à Paris. « Le congrès départemental de la CGT, organisé à Saint-Aubin, a lieu en même temps, il se termine par un appel à la grève. Celle-ci débute le 13 mai par une manifestation dans les rues d’Elbeuf. Plus de deux mille personnes défilent et tiennent meeting place Lecallier. Le futur maire socialiste d’Elbeuf, alors secrétaire de la CFDT et le futur conseiller général Louis Danais, à cette époque responsable de la CGT, s’adressent aux manifestants du haut d’un transformateur électrique. »
Chez Renault, une délégation de salariés demande à être reçue par la direction, qui refuse. Réaction des ouvriers : séquestration, du directeur, de son adjoint, du chef du personnel et du chef des gardiens.
« À partir de ce moment, le mouvement s’est mis en branle : Sandouville s’est arrêté puis les autres usines ont suivi et le 22 mai, on comptait 250 000 grévistes en Seine-Maritime », rappelle Jacky Maussion.
« Dimension humaine »
Qui se rappelle du « bouillonnement d’idées qui avait surgi de ce mouvement, au départ axé sur les embauches et les salaires. Chez Renault la grève avait pris une dimension humaine. Il y avait des débats où il était question de la place de l’homme au travail ; j’ai vu des pièces de théâtre, des concerts, des artistes et des écrivains sont venus nous voir, comme Colette Magny, Hervé Bazin ; des bénévoles du Planning familial venaient pour parler du couple, de la contraception… »
Une parenthèse qui se termine le 17 juin, quand les ouvriers reprennent le travail.
« J’ai participé à tout ça avec passion et l’événement a eu une forte influence sur ma vie. » Jacky Maussion deviendra en effet secrétaire général de la CGT puis un des dirigeants du PC en Seine-Maritime. Il est actuellement le président de l’Institut CGT d’histoire sociale du département.
Un demi-siècle plus tard, il estime que l’héritage de mai 68 est plutôt positif. « Le mouvement a débouché sur la création du Smic, la reconnaissance des syndicats, des changements dans les rapports entre les hommes et les femmes, la constitution du Programme commun qui aboutira à la victoire de la gauche en 1981… Il faut considérer ce qui s’est passé à ce moment-là en envisageant ses retombées sur une longue période. »
Et en 2018, y a-t-il lieu d’être optimiste ? « L’actualité voudrait qu’on ne le soit pas mais on n’est pas militant quand on n’est pas optimiste », affirme l’ancien OS de chez Renault.